L'archéologie des aqueducs romains
ou les aqueducs romains entre projet et usage
TRAIANVS © 2004
Publicado en:
Elementos de Ingeniería Romana
Libro de ponencias
Congreso Europeo "Las Obras Públicas Romanas"
Tarragona, noviembre de 2004
Introduction : la place de l'enquête archéologique
Qu'est-ce que l'archéologie des aqueducs romains ? En me demandant de
traiter cette question pour un colloque réunissant essentiellement des
ingénieurs, ses organisateurs me posent une question de définition qui
m'embarrasse. Si en effet la spécificité de l'archéologie par rapport aux
autres disciplines d'étude de la période antique, -l'histoire et la
philologie-, est d'aborder une question sous l'angle des choses matérielles,
les premiers archéologues des aqueducs sont des ingénieurs et des
architectes qui, au XIXe s., se sont intéressés aux travaux hydrauliques
antiques. Appelé à réaliser le drainage du bassin du Fucino dans les
Abruzzes, l'ingénieur Franz Mayor de Montricher avait observé les galeries
creusées sur l'ordre de l'empereur Claude qui voulait faire d'une entreprise
à laquelle Auguste avait renoncé une des gloires de son règne. En 1847, en
construisant sur le canal qui amenait les eaux de la Durance à Marseille un
pont conçu à l'imitation du Pont du Gard, le pont de Roquefavour, mais en
plus haut et plus long, le même entendait prouver que, par ses prouesses
techniques, l'ingénieur moderne dépassait l'ingénieur antique.
Lorsque l'archéologie s'est développée comme discipline, les aqueducs ont
relevé de l'archéologie monumentale conçue plutôt comme une branche de
l'histoire des Arts. Celle-ci avait pour objectif principal de reconstituer
un monument, d'en restituer le projet initial ou le fonctionnement optimal.
Les archéologues qui s'y sont intéressés ont été surtout des architectes et
leur attention s'est portée sur les ouvrages d'art, les grands ponts
aqueducs. Depuis l'archéologie a évolué. Le regard de l'archéologue s'est
affranchi d'une stricte dépendance par rapport à celui de l'architecte et de
l'ingénieur pour tenter de répondre à des questions nouvelles. Il aide à
reconstituer le projet de l'ingénieur. Mais ce qui lui est propre est la
restitution d'usages qui se sont modifiés durant leur longue utilisation par
l'observation des contextes archéologiques.
Pour montrer cet apport, je partirai du projet hydraulique commun aux
ingénieurs auxquelles les cités ont confié leur approvisionnement en eau.
Comme tout modèle, celui-ci n'est pas la réalité historique, mais il aide à
comprendre les ouvrages effectivement réalisés. L'ingénieur auquel avaient
été donnés un budget et un cahiers de charge devait l'utiliser dans un
contexte hydraulique et géographique spécifique. Par la suite, cet ouvrage a
été modifié en fonction des besoins en eau de la cité qui l'avait commandité,
des technologies nouvelles apparues et des difficultés rencontrées dans son
entretien. Ces modifications ont pu être imposées par le milieu. Mais elles
correspondent aussi à des conflits sociaux ou à des changements dans les
usages de l'eau. C'est sur tout cela que l'archéologie renseigne et dont il
sera question ici.
I - L'aqueduc : du projet à sa mise en ouvre
Les conditions générales
La généralisation de la construction des aqueducs est mise en relation
avec Rome. Le fait n'est pas contestable. Ce qui l'est moins, ce sont les
explications qui en sont proposées. Au XIXe s., un savant allemand proposait
d'expliquer par une question de mentalité la différence entre les ouvrages
romains et les aqueducs construits à l'époque grecque classique. " Dans tous
leurs aménagements, les Grecs s'adaptaient à la nature et savaient leur
trouver des analogies dans les dispositifs apparentés existant dans la
nature. " Cette adaptation au modèle de la nature et aux dispositions du
terrain constitue un principe proprement grec appliqué à la construction des
aqueducs ; elle s'oppose à la pratique des Romains, ceux-ci, dans leur
manière impérialiste, préféraient la ligne droite pour conduire les eaux de
la source au chef-lieu de la cité ; ils élevaient de cette manière de hautes
constructions somptuaires, rendues ainsi indépendantes des contraintes du
terrain " (van Buren 1955 : 465). L'idée a séduit. La différence entre
aqueducs grecs et romains recoupait en effet l'opposition entre le Romain
volontariste et brutal, impérialiste même avec la nature, et le Grec,
astucieux et fin, soucieux de s'adapter à la nature en la respectant. Un
canal suivant les courbes de niveau serait de conception typiquement
hellénique, alors que les Romains auraient construit des ouvrages que ne
déviaient de leur tracé ni les montagnes qu'ils perçaient ni les vallées sur
lesquelles ils jetaient des ponts. Cette opposition fallacieuse résulte d'un
processus d'idéalisation du vaincu qui a séduit les hellénistes. Dans ses
travaux sur la gladiature, L. Robert a montré que les Grecs n'étaient pas
moins amateurs de spectacles cruels que les Romains. Inventeurs de l'esclave
marchandise, les Athéniens n'ont pas construit que le Parthénon, mais aussi
un Empire que les autres cités ont combattu. La réalité est différente. Ce
qui rend possible la multiplication des aqueducs dans les provinces de
l'Empire, ce sont des progrès techniques et la capacité de dégager les
moyens humains et financiers nécessaires à des réalisations qui excédaient
les possibilités des cités individuelles. Je commencerai donc par les
présenter rapidement en partant d'une définition sommaire de ce type
d'ouvrage.
Un aqueduc est un conduit maçonné assurant le transport de l'eau par
écoulement gravitaire d'une source à une agglomération urbaine qui peut se
trouver à plusieurs dizaines de kilomètres. Cette conduite qui assure à la
ville antique une indépendance caractéristique par rapport aux ressources
hydriques, gagne à être la plus courte et la plus directe possible. À
l'époque romaine, l'ensemble des progrès accomplis pour réaliser cet
objectif peut être synthétisé sur un schéma de l'adduction d'eau qui est
resté valable depuis la construction des aqueducs romains jusqu'à l'époque
industrielle.
Construire des ouvrages d'art
Démentant la thèse ancienne du « blocage des techniques », les ingénieurs
de l'époque romaine disposent d'instruments qui exploitent des connaissances
scientifiques acquises anciennement. Elles acquièrent leur pleine efficacité
grâce à la capacité romaine de mettre en place et de gérer des chantiers
d'une grande complexité. Héritiers et les continuateurs des rois
hellénistiques successeurs d'Alexandre et fondateurs de villes, les
Empereurs romains s'appuient sur le même personnel d'architectes et
d'ingénieurs hydrologues. Mais ils en élargissent le champ d'intervention à
l'ensemble de l'Empire.
Les ponts
Les grands progrès accomplis dans l'art de construire sont mises en ouvre
dans les grands chantiers urbains des cités provinciales à l'imitation de
ceux de la ville de Rome. La construction d'aqueducs en bénéficie au même
titre que toutes les activités du bâtiment. Ainsi la construction des
ouvrages d'art que sont les ponts d'aqueducs n'aurait pu être menée à bien
sans la mise au point du système de la voûte clavée « à poussée ». «
L'honneur revient aux architectes romains de l'époque tardo-républicaine,
d'avoir osé libérer la voûte qui n'était qu'un trou dans une masse pour en
faire un volume à l'air libre » (Adam 1989, 180). Mais l'autre secret de la
réussite est la maîtrise acquise dans la confection de l'opus
caementicium. Celui-ci ne permet pas seulement à une main d'ouvre peu
spécialisée de réaliser les volumes considérables de maçonneries que
requièrent de tels monuments. La qualité des mortiers permet de réaliser une
voûte qui, la prise terminée et le cintre retiré, se comporte comme « un
monolithe dans lequel on a creusé un volume » (Adam 192), la « voûte
concrète ». Ajoutons pour terminer sans entrer dans le détail, que les
aqueducs bénéficient d'un autre progrès accompli dans la fabrication des
mortiers avec la mise au point des « mortiers de tuileau ».
Il existe une importante littérature sur les ponts romains, dont en
particulier une synthèse de C. O Connor (1993). Le pont aqueduc le plus
souvent étudié est le plus célèbre d'entre eux, le Pont du Gard qui doit la
place qu'il occupe à la perfection de son architecture et à l'ampleur de ses
arches : 24,52 m pour l'arc central et 19,20 pour les arcs latéraux, ce qui
le place loin devant les dimensions des ponts routiers de Narbonnaise (16,20
m pour l'arche centrale du Pont Julien et 15 m pour celle du pont de Vaison)
(Mignon 2003, 81).
L'organisation du chantier du Pont du Gard avait déjà donné lieu à des
hypothèses formulées par l'architecte russe I. S. Nikolaiev sur les travaux
duquel P.-M. Duval avait attiré l'attention. Ces évaluations méritaient
d'être reprises à partir d'une meilleure connaissance de l'ouvrage et de
travaux réalisés depuis sur les techniques de levage. Deux séries
d'observations viennent en effet d'être faites sur le chantier du Pont du
Gard. Les premières résultent de la fouille programmée de la carrière de
l'Estel située quelques centaines de mètres en aval qui a fourni les
matériaux : elles portent sur la question de l'approvisionnement en
matériaux du chantier. Les secondes ont été permises par la grande crue de
septembre 2002 qui a mise au jour les traces laissées par des engins de
levage en rive droite. À la lumière de celles-ci et des études conduites sur
la carrière, J.-C. Bessac a localisé l'emplacement de plusieurs engins, dont
un mat de levage situé à l'amont de la cinquième arche (Bessac 2004). Le
maniement des engins de bardage et de levage était restitué essentiellement
à partir des textes de Vitruve et des architecti et mécaniciens
antiques (Callebat 1986, 7-11 et 88-105), de comparaison avec la
construction médiévale ou moderne et de l'iconographie, dont le fameux
relief des Haterii (Adam 1989, 46-49). Les observations faites sur
les monuments construits étaient peu nombreuses et portaient sur les cavités
utilisées pour le maniement des blocs (id., 50-52). Ces découvertes
permettent donc d'envisager un renouvellement de nos connaissances.
À partir d'une tentative de reconstitution du chantier, de son
organisation et d'une évaluation du rendement moyen de la main d'ouvre, I.
S. Nikolaiev avait montré que selon le type d'engin de levage utilisé, le
nombre d'ouvriers pouvait varier entre 700 et 750 et proposé 2 à 3 ans pour
la durée du chantier. J.-L. Paillet opte pour un effectif de 500 ouvriers
ayant travaillé sur le chantier du pont du Gard. En définitive, envisagées
en journées-hommes, ces chiffres se recoupent. Moins d'ouvriers suppose un
chantier plus long : J.-L. Paillet évalue en effet à 5 ans sa durée au lieu
de 3 ans.
Les tunnels
Longtemps, l'attention s'est portée exclusivement sur les ponts des
aqueducs. La sous-évaluation des travaux souterrains est liée à leur
enfouissement et aux difficultés d'accès ainsi qu'à l'utilisation
inappropriée d'une inscription aussi célèbre qu'exceptionnelle, la base
funéraire du librator Nonius Datus. Etudié hors de son contexte
archéologique, ce texte a accrédité l'idée selon laquelle la réalisation de
travaux souterrains était exceptionnelle. Les mérites de Nonius Datus sont
incontestables ; ils illustrent parfaitement la valeur du corps des
topographes créés entretenus dans le cadre de l'armée. Mais la construction
d'un tunnel de 428 m sous le col d'El Abel pour conduire l'eau de Toudja à
Bougie (CIL VIII, 2728 = ILS 5795) est une réalisation moyenne qui
entre dans la longue série recensée par K. Grewe (1998) dans l'ouvrage qu'il
a consacré aux ouvrages souterrains. Dans ce domaine, les ingénieurs romains
ont utilisé des techniques dont on attribue la mise au point à la fois aux
mineurs, constructeurs des premières galeries, et aux hydrauliciens qui
captèrent des sources. Nonius Datus rappelle la bonne procédure. C'est celle
qu'utilisaient déjà les Iraniens pour construire les qanats, galeries
souterraines destinées à l'irrigation dont la plus longue atteint une
centaine de kilomètres. Un tracé était à partir de la surface. Puis, on
creusait des puits depuis la surface jusqu'au niveau souhaité ; chaque puits
était ensuite relié aux autres par des galeries horizontales dans lesquelles
était ensuite construit le canal. Le problème était de faire se rejoindre
les galeries lorsque les puits étaient espacés (cas des galeries creusées à
grande profondeur) ou lorsque celles-ci étaient creusées sans puits
intermédiaire en partant des deux côtés d'une montagne comme la galerie que
ne parvenaient pas à construire les habitants de Bougie. En Italie, où cette
architecture souterraine bénéficiait d'une tradition issue vraisemblablement
des Etrusques, elle fut utilisée d'abord pour le contrôle de l'eau dans les
cratères volcaniques et les dépressions karstiques des Apennins et pour leur
bonification par drainage avant d'être appliquée au franchissement
d'obstacles par les galeries d'aqueducs. L'exemple des aqueducs de Rome
permet d'en mesurer l'apport. En 145 av. J.-C., sous la République romaine,
le consul Marcius Rex entreprit la construction d'un aqueduc auquel il
laissa son nom, l'Aqua Marcia, qui mesurait 97,27 km de long. Ce fut
le premier aqueduc à être porté sur des arches dans son parcours aérien.
Deux siècles plus tard, en 50 ap. J.-C., l'Empereur Claude fit construire un
nouveau canal dont la tête se trouvait à seulement 150 m du précédent ; il
ne mesurait plus que 68,93 km. Ce raccourcissement était permis par les
ouvrages d'art, ponts et tunnels.
S'agissant du creusement des tunnels, la distinction essentielle porte
sur la taille de l'entreprise. N. Coulet a consacré une brève note au
drainage d'une petite dépression de Basse Provence orientale par un simple
menuisier qui montre la simplicité de l'opération quand elle est de petite
dimension. L'outillage est celui du carrier et les principes sont connus
depuis longtemps (cf supra). K. Grewe (1998) a montré comment à
partir des traces laissées par leur mise en ouvre, il était possible de
reconstituer la manière dont avait été conçue puis mise en ouvre la
construction d'une galerie destinée au passage d'un aqueduc. À titre
d'exemple, on peut examiner, sur l'aqueduc de Nîmes, le cas des deux
galeries de la Pérotte et des Cantarelles creusées dans la molasse tendre de
part et d'autre du vallon des Escaunes à Sernhac qui ont fait l'objet de
deux études complémentaires, la sienne et celle de J.-C. Bessac (in
Fabre et al. 2000, 376-405). Longues de 65,50 et 59,30, elles
mesurent environ 2 m de large sur 3 m de haut, ce qui offrait la possibilité
d'y construire le specus. L'observation des traces laissées par les
outils permet de reconstituer l'opération de creusement. Celle-ci a été
réalisée à partir des deux extrémités et depuis des puits d'extraction selon
la technique signalée plus haut. Une première galerie « de pilotage » était
ouverte selon un tracé en ligne brisée qui présentait sur la ligne directe
l'avantage d'assurer la rencontre à deux équipes travaillant l'une vers
l'autre, à partir du moment où les deux galeries étaient creusées au même
niveau. On ouvrait ensuite la galerie définitive.
J.-C. Bessac a évalué le personnel et le temps de travail nécessaire à
l'opération : un peu plus de deux mois pour 130 m de galerie avec 14 équipes
de 2 mineurs assistés d'une quinzaine de manouvres chargés de l'évacuation
des déblais, soit un total de 43 personnes pour un résultat journalier de
2,16 m. En un peu plus six mois supplémentaires (185 jours), les mêmes
équipes ont pu continuer dans le même secteur en ouvrant 400 m de tunnel
sous la garrigue de Sernhac. Il reste maintenant à s'attaquer à l'évaluation
du temps et des équipes nécessaires au creusement d'ouvrages importants,
pour lesquels on dispose d'une référence : le chiffre que donne Suétone pour
le creusement de la galerie du Lac Fucin : 30 000 h.
Mais il reste beaucoup à faire. Les travaux de K. Grewe, ceux de I. Riera
(1994) démontrent l'intérêt actuellement portés aux tunnels des aqueducs. En
Italie, une étude récente a porté sur un aqueduc de cité, celui de Bologne,
fut construit dans sa quasi-totalité en souterrain sur des distances
considérables. En Gaule Narbonnaise, en dehors du cas de Sernhac, les
recherches restent limitées. Ainsi, à une époque vraisemblablement proche de
celle durant laquelle fut construit le Pont du Gard, le défi de la
construction d'un tel tunnel été relevé avec succès par les ingénieurs qui
eurent à conduire à Aix-en-Provence, Aquae Sextiae, les eaux captées
près de Jouques dans le val de Durance. Pour gagner la ville, l'aqueduc de
la Traconnade devait parcourir plusieurs kilomètres sous le plateau qui
sépare la vallée de l'Arc de celle de la Durance. L'entrée du tunnel est
connue et son tracé identifié par des puits de construction de plusieurs
dizaines de mètres de profondeur. De tels ouvrages n'étaient pas hors de la
portée des capacités techniques de l'époque : la galerie de vidange du
Fucino, une des grandes ouvres de l'empereur Claude passe à 122 m de
profondeur.
L'établissement d'une pente régulière ; les escaliers hydrauliques
Dans la construction d'un aqueduc, il est essentiel d'assurer la
régularité de l'écoulement des eaux. Le calcul de la meilleure pente
s'appuie sur la topographie précise du parcours de la canalisation. Dans son
ouvrage sur les aqueducs romains, A. T. Hodge illustre ce fait par l'exemple
du défi opposé par la topographie aux ingénieurs romains par la construction
de l'aqueduc de Nîmes. Les nouvelles données disponibles (Fiches et Martin
in Fabre et al. 2000, 133-137) montrent que la performance est
encore plus remarquable que ne le laissaient penser les chiffres dont il
disposait : 12,35 m (et non 17 m) séparent Nîmes de la Fontaine d'Eure, près
d'Uzès. En ligne directe, cela correspondait à une distance de 20 km, soit à
une pente (idéale) de 0, 617 m au km. Mais l'ouvrage construit franchissait
le Gardon à proximité de Remoulins, il était deux fois et demi plus long -
environ 50 km- ce qui lui donnait une pente moyenne de 0, 248 m au km, soit
moins de 5 cm de plus que celle que préconisait Pline comme limite
inférieure à ne pas dépasser. Il existait bien une différence de pente entre
les deux secteurs amont (31 % du parcours) et aval (69 %) de l'aqueduc. Mais,
entre la source et le Pont du Gard, elle est moins forte que l'on ne pensait
: 0,37 cm et non plus 0,67 cm au km.
Une comparaison entre un ouvrage idéal et l'ouvrage construit éclaire le
choix de parcours opéré par les ingénieurs. Le percement d'un tunnel de 10
km sous le massif des Garrigues de Nîmes entre Saint-Nicolas et Nîmes aurait
permis d'assurer à l'aqueduc la pente la plus proche de celle qui est
préconisée par Vitruve. Une telle possibilité doit être envisagée avec
sérieux.
L'attention apportée à la prouesse des ingénieurs qui surent conduire la
canalisation de l'aqueduc de Nîmes sur une pente particulièrement faible ne
doit pas occulter la contrainte inverse : ne pas donner une pente trop forte
à la canalisation. En effet dans une conduite où l'eau coule par gravité, un
écoulement trop rapide risque d'entraîner une usure rapide du canal. Les
manuels modernes conseillent des pentes adaptées au matériau sur lequel
coule l'eau : des maxima vont de 2,11 m pour des cailloux agglomérés et des
schistes tendres à 7,43 m au kilomètre pour le granit. Lorsque la pente
devenait trop forte, pour éviter la dégradation du canal, il faut établir
freiner la vitesse d'écoulement et en absorber l'énergie. Les dispositifs
prévus à cet effet sont resté longtemps mal connus. C'est en effet à une
date très récente qu'un ingénieur, H. Chanson, en a fait l'objet d'une
recherche spécifique (Chanson 1998).
Ils consistent en une succession de courts plans inclinés séparés par des
puits de rupture de pente de section carrée, rectangulaire ou circulaire.
Lorsque la pente est plus faible, les plans inclinés sont remplacés par des
paliers à déclivité normale séparant des puits. Commandés par la topographie
générale d'une région, tels dispositifs se rencontrent sur toutes les
sections d'un aqueduc, aussi dans la partie supérieure qu'à proximité du
point d'aboutissement. Il convient maintenant de corriger le schéma de
construction d'un aqueduc pour faire à ces dispositifs la place qui leur
revient.
En Gaule, le cas, maintenant le mieux documenté est celui des deux
aqueducs les plus pentus qui alimentaient Lyon, ceux de l'Yzeron et la
Brévenne. Sur l'Yzeron, au Récret (Grézieu-la-Varenne) où le canal aborde
une section à pente très forte (80 m au kilomètre), J. Burdy (1991, 73-81) a
mis en évidence deux puits carrés distants de 490 m et de 38 m dénivelé
entre lesquels il restitue une douzaine de puits analogues séparant des
tronçons de 30 à 100 m. Ainsi un escalier hydraulique permettait de donner
au canal une pente de 1 m au km, là où, à défaut, la pente aurait été huit
fois plus forte. Au total, l'installation était longue de 2 km et devait
comporter une cinquantaine de puits. Sur une autre branche du même aqueduc,
celle de Vaugneray, le même (1991, 67-68) signale une autre série comportant
probablement 7 chutes, hautes de 2,5 à 3 m, situées à intervalle d'une
quarantaine de mètres en moyenne sur une distance de 250 m. Sur l'aqueduc de
la Brévenne, il avait également montré qu'il devait exister au moins 5
dispositifs importants sur un parcours de 70 km entre la source et le siphon
d'Ecully (1993, 161-165). À Vaugneray et au Recret, la pente autorise un
dispositif en escalier dans lequel des puits se répartissent irrégulièrement
selon la pente. À Chavinay, au lieu dit Plainet, où l'aqueduc chute
d'environ 87 m sur une distance d'environ 275 m (pente moyenne de 33 %), il
a fallu mettre en place un dispositif différent. J. Fages en a dégagé une
section longue de 18,5 m pour une dénivellation de 5,82 m. Large d'un mètre
environ, le canal est délimité par des piédroits dans lesquels des cavités
espacées de 2,30 m ont été aménagées par paires, 15 à 25 cm du fond au-dessus
d'un radier constitué de trois séries de dalles de gneiss alignées, une
rangée centrale et deux séries de dalles latérales partiellement en appui
sur les dalles centrales. J. Fages (2000) restitue un dispositif de planches
appuyées sur les madriers pour freiner le courant.
La mise en place du specus : les sections d'un aqueduc
Le « modèle » de construction d'un aqueduc qui vient d'être brièvement
présenté peut être complété par l'observation sur le terrain d'anomalies qui
s'expliquent par des procédures que n'évoquent pas les textes. La première
est la réalisation d'une sorte de canal d'essai préalable à la construction
de l'ouvrage définitif. La trace d'un tel canal a été observée par K. Grewe
dans le secteur de Mechernich sur l'aqueduc qui amenait l'eau de l'Eifel à
Cologne après un parcours long de 110 km. Dans la forêt, elle apparaît sous
la forme d'un fossé peu profond comblé par des déblais. Dans la plaine, elle
se manifeste par une trace double, dont une seule correspond à l'ouvrage
effectivement construit. Dans les deux cas, des fouilles ont permis de
vérifier la matérialité de ce creusement (Grewe 1985, 24-42).
Ce qu'au XIXe s., P. de Gasparin a observé sur l'aqueduc du Gier à Lyon
est sensiblement différent. Il s'agit d'une tranchée que l'on suit
maintenant sur plus de 40 km parallèlement à l'aqueduc, 7 à 15 m au-dessus
de l'aqueduc. Il l'interprétait comme le travail préparatoire effectué pour
un tracé qui a reçu un début d'exécution, puis a été abandonné pour un tracé
plus bas. C. Germain de Montauzan a discuté cette hypothèse et a proposé
cinq autres hypothèses : fossé marquant une zone de protection, sentier de
service, essai préparatoire, protection contre les venues d'eau ou, au
contraire, système d'amenée d'eau pour le chantier. J. Burdy n'en retient
aucune et marque sa préférence pour la proposition primitive faite par de
Gasparin (Burdy 1996, 298-305).
Sur l'aqueduc de Carthage, près de l'oued Miliane, à proximité d'Oudna,
le specus qui reposait à la fleur de sol s'élève à l'approche d'une
vallée et aborde un parcours sur arches. À cet endroit, une différence de
niveau d'une quarantaine de cm entre les radiers des deux sections a été
rattrapée par une semelle de mortier de tuileau, régularisant la pente. Le
décalage qui existe entre les deux radiers et qui a disparu au niveau du
plancher du specus, ne peut guère s'expliquer que par la rencontre de
deux équipes. L'une d'elles, celle qui avait en charge la construction des
arcades de franchissement du fleuve ou l'autre qui construisait la section
amont, a fait une erreur de nivellement -facilement récupérable. - qui
matérialise leur rencontre.
Les rencontres entre équipes ne se traduisaient pas toujours par des
corrections de nivellement. L'observation archéologique relatée valide
seulement une idée au demeurant simple et logique qui rend compte de la
rapidité d'exécution de ces ouvrages. Comme les travaux modernes, les
travaux antiques étaient réalisés par sections dont la construction était
menée simultanément sous l'autorité d'un ingénieur qui assurait la
coordination de chantiers pouvant réunir des milliers d'ouvriers, trente
mille rapporte Tacite pour la construction de l'émissaire du Fucino. C'est
cette organisation qu'a tenté de mettre en évidence K. Grewe en exploitant
des données topographiques dans deux études qu'il a conduites, l'une sur
l'aqueduc de Cologne dont il vient d'être question, l'autre sur un ouvrage
de bien plus faible dimension, le petit aqueduc de Siga en Algérie (Grewe
1985). Il a montré qu'un relevé topographique pouvait rendre compte de
l'organisation générale du chantier : des changements dans la pente du canal
peuvent permettre de distinguer les sections prises en charge par des
équipes différentes.
Un retour sur le cas emblématique de l'aqueduc de Nîmes montre ce que
l'on peut tirer de cette méthode en prenant pour base les travaux de
topographie conduits en 1989 par le département de Génie Civil de l'IUT de
Nîmes. Jusqu'alors, les relevés des pentes permettaient de distinguer quatre
sections : de la source d'Eure au Pont du Gard (au km 16) une pente moyenne
de 0,67 m ; du Pont du Gard à Saint Bonnet (k 16 à 26), 0,07 m ; de Saint-Bonnet
à Saint-Gervasy (km 26 à 38), 0,17 m ; de Saint-Gervasy à Nîmes (km 38 à
50), 0,30 m . Les nouveaux relevés ont montré qu'en fait les pentes
variaient de 0 à plus de 4 m au km et que le profil se décomposait en une
succession de « neuf séquences [.] suivies d'un tronçon à forte pente
directement à l'amont du castellum ». Cela J.-L. Fiches et Martin
conduit à une observation qui recoupe celles de K. Grewe : « Ces séquences
peuvent [.] refléter un découpage préalable du tracé par rapport à des
repères topographiques, voire une organisation du chantier de construction
par étapes ou entre plusieurs équipes » (in Fabre et al. 2000,
134).
II - Les usages
Le traité de Frontin sur les aqueducs de Rome et, pour la Gaule et les
Germanies, des monographies comme celles qui ont porté sur les deux grands
aqueducs de Cologne et de Nîmes ou les recherches de J. Burdy sur les
aqueducs de Lyon, permettent de restituer des projets précis inscrits dans
un milieu spécifique d'où ils tirent leur originalité. Leur examen a permis
de dresser l'inventaire de la série des solutions apportées par les
hydrologues romains à la conduite de l'eau. Je n'irai pas plus loin dans
cette voie pour m'orienter vers une autre : montrer le parti que l'on peut
tirer de cas plus difficiles, ceux des ouvrages dont la planification a été
incertaine ou bien qui ont subi des modifications soit parce que leur
fonctionnement ne donnait pas (ou ne donnait plus) satisfaction ou parce que
place devait être faite à de nouveaux usages. Les grands aqueducs
parfaitement planifiés dont il a été question n'y ont pas eux-mêmes échappé.
Ceci constitue un des aspects importants du traité de Frontin. Mais c'est là
que la contribution de l'archéologie la plus importante. Là comme dans bien
d'autres cas, on se rend compte que l'archéologie permet de relire les
textes dont on pensait l'intérêt épuisé.
1 - Les adaptations du tracé
L'enquête archéologique de terrain permet une première constatation : les
tracés varient pour deux raisons que nous examinerons successivement. La
première est que dans un premier temps l'objectif de l'alimentation de la
ville en eau pérenne n'était pas atteint. La seconde est que l'entretien ou
le maintien d'une canalisation implantée dans un milieu parfois instable
n'était pas assuré. Dans les deux cas, des corrections de parcours
s'avéraient nécessaires
Plus d'eau
Le premier cas, celui du renforcement des débits, peut être examiné à
partir de trois exemples choisis pour leur valeur démonstrative qui
correspondent à autant de situations différentes qui ont été établies par
des procédures archéologiques différentes. Ils concernent, le premier, une
ville pérégrine d'Aquitaine, Saintes, les deux autres des colonies romaines
de Narbonnaise. Dans leur état premier, ces ouvrages sont à peu prés
contemporains.
Saintes
Saintes, Mediolanum Santonum, est le chef-lieu de la grande cité
des Santons dont l'aristocratie riche et puissante occupait à l'époque
augustéenne une position importante au conseil des Gaules. La ville a fait
l'objet d'une importante monographie due à L. Maurin (1978, 100-105) qui,
par la suite, a repris les données sur la campagne dans un volume de la
Carte Archéologique départementale de la Gaule (1999). L'aqueduc qui
alimentait la ville constitue un excellent exemple des questions
d'interprétation posées par l'hétérogénéité des conduites.
Sa connaissance avait été renouvelée par un ingénieur, A. Triou (1968),
qui, l'étudiant en hydraulicien, a montré que la ville avait été alimentée
successivement par deux aqueducs. Le plus récent avait partiellement
emprunté le canal du plus ancien, dont une partie avait été désaffectée.
D'une exécution médiocre, ce dernier prenait l'eau 5 km au nord est de la
ville. Par la suite, le second avait capté deux sources situées 7,4 km plus
au nord. La particularité de l'ouvrage vient de ce que le second canal était
d'une qualité nettement supérieure au premier. Logiquement on attendrait que
la section du premier aqueduc emprunté par le second dans sa partie aval ait
été mis aux mêmes normes afin de pouvoir écouler le nouvel apport d'eau. Il
n'en fut rien. Le canal subit seulement des modifications provisoires
destinées à assurer l'arrivée de l'eau à Saintes : maintien en usage
simultané des deux canaux dans certaines sections ; modification de la
section d'un passage en souterrain ; exhaussement des parois du canal sur
les ouvrages d'art. Dans son étude de l'histoire de la cité antique, L.
Maurin (1978) propose d'expliquer cette situation par un problème de
financement : « les investissements considérables engagés pour construire
les aqueducs du Douhet et de Vénérand ont été brutalement arrêtés au moment
où les travaux arrivèrent au niveau de la jonction avec le premier aqueduc ;
la source de financement (libéralité impériale ou évergétisme municipal ou
autre) se trouva alors tarie et ne fut plus alimentée dans la suite, sans
que l'on puisse fournir d'explication satisfaisante ».
Fréjus
Dans le cas de l'aqueduc de Saintes, une étude archéologique et
hydrologique a révélé le captage successif de deux sources. Il en va
différemment de l'aqueduc de Fréjus, Forum Iulii, importante colonie
de citoyens romains constituée de vétérans de la VIIIe légion installée sous
Auguste entre 31 et 27 et port militaire qui reçut des vaisseaux après
Actium. La connaissance de son aqueduc vient d'être renouvelée par une
importante monographie, fruit de recherches pluridisciplinaires conduites
durant plusieurs années (Gebara et al. 2002). Elle applique une
méthodologie nouvelle élaborée par les kartologues aixois dans l'étude de
l'aqueduc de Nîmes. Dans sa planification, l'ouvrage semblait simple. On ne
lui connaissait qu'une source, celle de la Siagnole de Mons (Le Neisson) à
l'altitude de 515 m et à 42,5 km de Fréjus. Les travaux récents ont amené la
découverte d'un second point de captage, 13 km à l'aval à La Foux dans la
région de Montauroux. Négligée des hydrauliciens actuels, cette source est
d'un débit moins important et plus régulier que la source de la Siagnole. On
pouvait penser qu'il s'agissait d'une alimentation annexe. C'est ici que la
géoarchéologie de l'eau, c'est-à-dire l'intervention des disciplines
naturalistes dans l'étude archéologique s'est révélée d'un apport décisif. À
la sortie d'une source karstique, comme c'est le cas ici, la température des
eaux se modifiait, entraînant la précipitation des carbonates dissous en
lamines microscopiques. Ces dépôts enregistraient les caractéristiques
géochimiques propres à la source et donc d'éventuels changements, dans
l'alimentation tels la mise en service d'une nouvelle adduction ou un
changement quelconque dans l'apport de telle ou telle source ainsi que les
variations du niveau de l'eau ou les interruptions dans la circulation. Leur
composition reflète les caractéristiques de l'eau qui y a circulé et
enregistre des changements d'alimentation (cf infra). Immédiatement à
l'aval de la convergence des deux conduits qui amenaient les eaux de la
Siagnole et de La Foux, l'analyse de leur « signature » dans les dépôts a
montré que, contrairement à ce que l'on attendait, la première source captée
n'était pas la plus abondante. « Les premières couches de concrétions
semblent bien avoir été le produit des seules eaux de La Foux. Les suivantes
qui présentent des teneurs chimiques et isotopiques intermédiaires entre ces
premiers dépôts et ceux produits par les eaux du Neisson sur le canal de la
Siagnole, traduiraient une alimentation mixte » (Guendon et al. 2003,
182). Ainsi, pendant une vingtaine d'années, Fréjus se serait contenté des
eaux de La Foux. Mais dans ce cas, à la différence de ce qui est arrivé à
Saintes, les ingénieurs avaient prévu le prolongement de l'ouvrage jusqu'à
la source de la Siagnole de sorte que l'augmentation importante du volume
des eaux n'a pas entraîné de modifications sur la partie aval de l'ouvrage.
Arles
Arles est une autre colonie romaine constituée comme Fréjus à l'issue de
la Guerre Civile au profit des vétérans de la sixième légion. L'histoire
complexe de son aqueduc illustre une situation sensiblement différente des
deux cas qui viennent d'être décrits. Nous reviendrons plus bas sur la date
de sa mise en service. Contentons-nous pour le moment d'une fourchette
chronologique qui la place dans la première moitié du Ier s.. Cet ouvrage
collectait les eaux des Alpilles, un massif calcaire dont le karst nourrit
des sources qui ressortent à son piémont.
Ces sources sont plus nombreuses qu'abondantes. Aucune n'égalant la
source de l'aqueduc de Nîmes au vallon d'Eure, la stratégie des
hydrauliciens romains qui sont allés y chercher l'eau a été très différente
de celle des Nîmois : alors que les uns captaient une seule source, les
autres étaient dans l'obligation de multiplier les apports à un ouvrage qui,
de ce fait, n'est véritablement constitué en tant que tel qu'au moment où
son tracé quitte le massif. De ce fait, on peut distinguer deux grands
secteurs que sépare la dépression du marais des Baux : le premier correspond
à la zone d'alimentation. Le second débute au nord de la vallée des Baux,
suit le rebord de la Crau et franchit les zones basses de la plaine d'Arles
pour parvenir au rocher de l'Hauture où se trouvait le répartiteur. Au début
du second siècle, il fait l'objet d'une modification dont l'objectif n'est
pas d'augmenter la quantité d'eau qui arrive à Arles, mais de compenser le
transfert d'une partie de l'eau à un usage industriel pour les moulins de
Barbegal bâtis à ce moment précisément à la transition des deux secteurs. La
section qui nous intéresse est la section à l'amont de Barbegal. Bien qu'il
se soit trompé dans sa restitution du système, L.-A. Constans (1921) avait
bien perçu l'hétérogénéité de cette section où il reconnaissait deux
aqueducs. L'un, l'aqueduc dit « des Baux » ou « de Caparon », collectait les
sources du piémont sud ; l'autre, l'aqueduc de Saint-Rémy ou d'Eygalières,
contournait le massif par l'ouest pour aller chercher les sources du piémont
nord. Il datait le premier de l'époque d'Auguste, le second de l'époque
d'Hadrien. F. Benoit (1940) avait fait avancer la question en montrant que
l'aqueduc des Baux s'arrêtait à Barbegal, dont les vestiges étaient ceux de
moulins et non ceux d'un siphon emprunté par un aqueduc. L. A. Constans
avait en effet imaginé que les deux aqueducs franchissaient séparément la
vallée des Baux, l'un par un siphon, l'autre par un pont et qu'au-delà les
deux canalisations étaient superposées, ce qui expliquait que l'on ne
connaisse qu'un seul tracé. Reprenant l'opinion de F. Benoit qui datait du
IVe s. la construction des moulins, A. Grenier admettait que les moulins
auraient été créés pour utiliser un débit devenu excédentaire du fait du
rétrécissement de la ville d'Arles. En fait, comme il l'observait, des
difficultés d'interprétation demeuraient.
Les fouilles conduites en 1990 sur ce site (Leveau 1995) ont montré que
la construction du pont qui assurait l'indépendance des deux ouvrages était
liée à la réorganisation générale du système. Auparavant, ils convergeaient
dans un bassin situé à l'amont des ponts jumeaux qui traversent le vallon
des Arcs, 300 m à l'amont de Barbegal. À cette époque Arles est à son apogée
et il fallait compenser la perte d'eau occasionnée par la nouvelle
affectation la branche de la vallée des Baux. Comme il existait déjà une
seconde branche correspondant à l'arrivée de l'aqueduc de Saint-Rémy et
comme elle est contemporaine de l'autre -sans quoi pourquoi les faire
converger ?-, l'hypothèse la plus vraisemblable est qu'elle a été prolongée
sur le versant nord des Alpilles pour collecter de nouvelles sources.
J'arrête là l'exposé d'un problème qui n'a pas reçu de solution
définitive. Mais j'y reviendrai, car il donne un bon exemple des conflits
d'usage posés par l'utilisation des ressources d'hydraulique du massif. Ces
conflits ne concernent pas seulement l'aqueduc d'Arles. L'usage des sources
des Alpilles mettait en effet en présence trois partenaires : les colons
d'Arles constructeurs de l'aqueduc, les communautés anciennes des Alpilles,
dont la plus remarquable est la ville de Glanum et les propriétaires
des villae romaines du massif. La complexité de l'hydrologie de ce
massif et l'exploitation qui en a été faite justifie que leur soit consacré
un développement particulier illustrant la manière dont l'archéologie peut
aborder les conflits d'usage que suscite l'utilisation des eaux.
Une conduite plus courte et moins dépendante du terrain
Frontin donne une seconde raison de modifier le tracé d'un aqueduc :
réaliser conduite plus courte et moins dépendante du terrain. « Maintenant,
toutefois, sur certains points, aux endroits où le conduit a été ruiné par
le temps, le canal souterrain qui contournait les vallées a été délaissé
pour traccourcir et on traverse celles-ci sur mur de soutènement et sur
arcade » Iam tamen, quibusdam locis, sicubi ductus vetustate dilapsus est,
omisso circuitu subterraneo vallium, brevitatis causa, substructionibus
arcuationibusque traiciuntur (De Aquaeductu 18, 5).
Cherchell, Caesarea de Maurétanie, est une importante fondation
d'un prince africain mis à la tête d'un royaume par l'Empereur Auguste. Elle
reçut de son fondateur un équipement urbain considérable comportant
vraisemblablement l'aqueduc qui alimentait la ville (Leveau et Paillet
1976).
Travaillant sur un pont d'une trentaine de mètres de hauteur qu'il
empruntait pour franchir une vallée profonde, J.-L. Paillet et moi-même
avons eu la surprise de constater qu'à l'amont de l'ouvrage, le conduit se
trouvait une douzaine de mètres au-dessus de la culée et qu'il remontait la
vallée, décrivant une boucle de plus de 3 km pour retrouver à son terme le
conduit construit sur le pont. Celui-ci avait donc été bâti pour éviter le
détour que faisait le premier ouvrage. La dénivellation dizaine de mètres
correspondant à la hauteur perdue par le canal dans ce parcours était
compensée par un système de chutes, le seul de ce type qui ait été décrit
pour un aqueduc romain (Leveau et Paillet 1976, 64-67 et 76-77). L'exemple
de ce raccourcissement de l'aqueduc devait nous conduire à envisager un
second raccourcissement plus important, 9 km au lieu de 3,5 km, du même
ouvrage à l'aval, avec la construction du pont de l'oued Bellah. Sur ce
parcours, aucun système de chute n'a été observé. Mais l'hypothèse de la
reconstruction complète du canal sur un parcours moins exposé que l'ancien
est la seule qui rende compte de l'existence de deux canaux. Dans ce cas, le
premier aqueduc a pu continuer à fonctionner pour acheminer vers la ville
les eaux provenant d'autres sources ou être totalement abandonné.
Liée au désir de rendre les canalisations plus fiables et plus faciles à
entretenir, une telle situation a existé ailleurs. En Gaule, on peut verser
au dossier, le cas de l'aqueduc du Gier à Lyon. Les auteurs décrivent en
effet dans sa partie amont, une boucle, la boucle de la Durèze, qui a
nécessité la construction de plusieurs ponts et d'un court tunnel, la « cave
du Curé » (Burdy 1996, 75-91). Elle est recoupée par le siphon de Chagnon,
long de 700 m. Si l'on en croit les mêmes auteurs, l'évolution du tracé se
serait faite dans le sens opposé de celle qu'a notée Frontin. La boucle
aurait été construite à la suite de l'abandon du siphon amenant un
allongement du parcours de 11,5 km à flanc de coteau. Compte tenu du texte
de Frontin, l'hypothèse contraire paraîtrait la plus vraisemblable si une
inscription découverte à Chagnon ne rappelait l'interdiction faite par
autorité de l'empereur Hadrien de labourer, de semer ou de planter sur
l'espace de protection de l'aqueduc (CIL XIII 1623). Seule évidemment une
fouille permettrait de valider la bonne hypothèse (Burdy 1996, 296). Il en
va de même des remaniements de tracé relevés par G. Garbrecht sur l'aqueduc
du Kaïkos qui alimentait la ville de Pergame en Asie mineure (Garbrecht 1987
: 41-42). Sous Hadrien, des tremblements de terre auraient contraint à
abandonner des ponts trop élevés et trop fragiles au profit de tracés plus
longs, mais ne nécessitant pas d'aussi importants ouvrages d'art. Dans ces
deux cas, l'hypothèse inverse me paraît préférable.
2 - Les concurrences d'usage ou l'eau pour l'agriculture, la vie urbaine
et l'énergie
La seconde série de données sur lesquelles nous renseigne l'archéologie
des aqueducs porte sur les changements d'utilisation et les conflits d'usage.
En principe, dans la majeure partie des provinces de l'Empire, les aqueducs
ont été construits pour alimenter un établissement urbain ou une grande
villa résidentielle. La séparation des deux branches de l'aqueduc
d'Arles et l'affectation de l'une d'elles aux moulins de Barbegal (Leveau
1995) constitue sans doute le plus remarquable de modification d'un système
hydraulique par changement d'utilisation que l'on connaisse.
Ces deux usages, pour l'alimentation d'un habitat et pour la production
d'énergie, n'étaient pas concurrents. Palladius conseillait aux
propriétaires de villae d'utiliser l'eau des thermes pour faire
tourner des moulins. En revanche ces usages de l'eau intervenaient en
concurrence avec un autre, l'usage agricole. Durant les sécheresses
estivales, les paysans méditerranéens n'ont certainement pas vu avec plaisir
les sources qui irriguaient leurs cultures captées pour des usages urbains
ou pour l'agrément des résidences rurales des puissants. De leur côté, ces
derniers avaient les moyens de détourner l'eau des aqueducs pour irriguer
des cultures. Frontin en fait état et il n'est pas le seul. Comment
l'archéologie peut-elle apporter des documents à cette question ? La simple
prospection peut donner des résultats. Je pense à des installations du type
de celles de l'oued Soromane sur l'aqueduc de Cherchell où j'avais identifié
un nymphée de grands bassins, sans pouvoir établir une relation avec
l'aqueduc. Il vient également à l'esprit une comparaison avec les problèmes
qu'eurent à traiter les autorités françaises qui rétablirent l'aqueduc de
Carthage à l'époque du protectorat. Lassés par les incessantes brèches
ouvertes dans le canal par des éleveurs pour abreuver leurs troupeaux, ils
installèrent des fontaines à l'intention de ces derniers. Mais seule une
fouille extensive et systématique pratiquée le long d'un aqueduc peut
révéler la présence de ces branchements dont les textes prouvent qu'ils
étaient pratiqués par les riverains avec sous ou sans l'autorisation des
autorités urbaines pour alimenter des habitats mais aussi servir à un usage
agricole.
Les recherches dont a été l'objet l'aqueduc de Nîmes apportent de
précieux renseignements sur cette question. Depuis longtemps, on avait
identifié contre les maçonneries de gros amas de concrétions carbonatées
dont le volume dépassait plusieurs dizaines de m3. Distincts des
dépôts liés à des fuites du specus, ils correspondent à des brèches
ouvertes intentionnellement. Au XIXe s. déjà, aux arches de la Lône, sur
l'un des trois plus importants, J. Teissier-Rolland avait observé des traces
de vannes et formulé l'hypothèse d'une utilisation de l'eau de l'aqueduc par
les habitants de Vers pour l'irrigation de leurs champs (Fabre et al.
2000, 81 et 412). D'autres existent à la Valive (ibid., 327-329). La
formation de ces amas suppose qu'une grande quantité d'eau s'écoulait par
ces brèches. Les aménagements qui les ont occasionnés ne sont pas datés avec
précision. En chronologie relative, ils remontent à une époque où le captage
de la source d'Eure était toujours en fonction, mais où l'eau fournie était
de mauvaise qualité. Ils sont antérieurs à une remise en usage de l'aqueduc
pour l'alimentation urbaine, datée des IVe s. et Ve s. (ibid. 414).
On hésite entre deux usages : l'irrigation ou l'alimentation de moulins. Au
total, sous ces aspects, dans son parcours de la vallée de l'Alzon,
l'aqueduc de Nîmes offre un remarquable exemple de concurrence dans les
usages de l'eau. C'est sur ces aspects qu'il a été étudié par M. Gazenbeek,
puis par L. Buffat (2004).
3 - Concurrence et complémentarité des usages : l'exemple de
l'hydraulique antique dans les Alpilles
L'exemple de l'aqueduc d'Arles qui procurait à la colonie romaine
l'essentiel de l'eau nécessaire à ses besoins a été l'occasion d'évoquer les
Alpilles, un massif calcaire qui, dans le paysage régional, forme un
contraste saisissant avec la plaine alluviale. Ce massif est remarquable par
l'importance des vestiges d'exploitation hydraulique. Ils ne se résument pas
aux captages dont nous allons traiter ici. Entre Paradou et Fontvieille, à
l'est du massif des Défends de Sousteyran, le bassin des Taillades est une
doline qui fut pourvue d'un exutoire artificiel à l'époque romaine. Creusée
dans la roche tendre sur quelques centaines de mètres à partir de puits, la
galerie qui évacue l'eau en excédent est même le plus remarquable ouvrage
hydraulique romain de ce type qui soit conservé dans la région provençale (Gateau
et Gazenbeek 1999, 166-168 ; Grewe 1998, 98).
Les Alpilles sont d'abord un château d'eau qui assure un débit stable aux
sources captées à sa périphérie sur ses piémonts, celles que captait
l'aqueduc d'Arles. Sur le piémont sud du massif, une branche (devenue
ensuite aqueduc de Barbegal) collectait plusieurs sources alimentées par les
aquifères karstiques du flanc sud de l'anticlinal de Manville au nord de la
plaine de Paradou-Maussane et par les infiltrations circulant le long de la
faille est-ouest qui borde la dépression du Mas de la Dame. Son point de
départ se trouve au Paradou. L'une des sources se trouve au vallon
d'Entreconque au nord-est de Maussane où son conduit maçonné a été identifié.
On suppose qu'il captait la source du Mas de la Dame. Au nord de Maussane,
la source de Manville constituait probablement une alimentation annexe,
ainsi que celle du mas d'Escanin. Principale source de l'aqueduc, la
fontaine d'Arcoule était captée par un barrage qui a disparu à la suite des
travaux modernes. Actuellement il ne reste plus rien d'accessible sauf à La
Burlande (Le Paradou) où l'on peut encore voir un bassin qui assurait la
convergence de deux canaux qui pourraient venir l'un de la fontaine
d'Arcoule, l'autre du vallon d'Entreconque.
Dans une mise au point sur le peuplement protohistorique du massif, P.
Arcelin soulignait la relation qui existe entre la carte des points
d'habitat connus et celle « des potentialités hydrologiques, des résurgences
et points d'eau bien plus nombreux au contact avec les piémonts et les
plaines » (in Gateau et Gazenbeek 1999, 64). En fait, les Alpilles ne
sont pas un simple château dont profitaient les habitats de sa périphérie. À
l'intérieur du massif, il existait deux types des sources. Les moins
importantes et les moins constantes étaient alimentées par le réservoir des
formations détritiques superficielles ; les autres bénéficiaient d'un débit
constant assuré par des résurgences karstiques liées à structure géologique
complexe du massif. Située au cour du massif au fond d'un ravin de son
versant nord, la ville de Glanum doit son existence à cette particularité
hydrologique L'eau circule au fond de talwegs entre les dépôts torrentiels
et le substrat de marnes et de calcaires argileux (Barrémiens) où elle est
captée au fond de puits. Mais surtout, l'aquifère du Mont Gaussier alimente
sur résurgence karstique captée par un aqueduc (Augusta-Boularot et Paillet,
2003, 108, 112). La présence de l'eau a paru si remarquable aux archéologues
qui l'ont étudiée qu'ils en ont fait un sanctuaire des eaux organisé autour
d'une source anciennement captée. Le site se trouve à la convergence de deux
gaudres, cours d'eau de faible rang au régime contrasté, asséchés l'été mais
susceptibles d'épisodes torrentiels, les gaudres de Saint-Clerg et de
N.-D.-de-Laval. Les eaux qui circulaient au fond du premier d'entre eux
avaient été collectés dans la fontaine monumentale. Glanum est un
site d'une richesse monumentale étonnante, que, frappés par le contraste
qu'il offrait avec la désolation de l'environnement, les archéologues a cru
isolé dans une zone hostile, en particulier, défavorable à la vie agricole.
Le paradoxe de ce site a autorisé et suscité des interprétations qui
privilégiaient le facteur religieux pour en expliquer l'origine
protohistorique et la continuité à l'époque romaine. Depuis, les
prospections réalisées par M. Gazenbeek (Gateau et Gazenbeek 1999) et les
recherches sur l'épigraphie de la ville (Christol et Janon 2000) lui ont
rendu sa place parmi les villes de la région. On s'est rendu compte qu'il
s'agissait bien d'une ville dotée d'un territoire propre et que l'on ne
pouvait plus lui appliquer les raisonnements qui avaient prévalu dans les
premiers temps de la recherche. Le paradigme d'une romanisation brutale et
répressive associée à l'idéalisation des peuples Salyens avait empêché
d'appréhender dans sa complexité juridique le partage des eaux du massif :
l'aqueduc d'Arles traversait le territoire d'une collectivité ancienne qui
avait dû lui en reconnaître le droit sans pour autant perdre son autonomie.
À partir du moment où Glanum était identifiée comme une ville, se
posait le problème d'une alimentation à laquelle les installations connues
pouvaient difficilement répondre. C'est alors que la recherche s'est
intéressée au barrage qui se trouve à quelques kilomètres de là. Une étude
conduite par S. Agusta-Boularot et J.-L. Paillet (1999) a permis de
restituer le barrage-voûte, -le premier barrage-voûte romain qui ait été
identifié-, qui avait été édifié à l'emplacement de l'actuel. On aurait
élevé un plan d'eau artificiel à un niveau suffisant pour qu'une
canalisation circulant à flanc aboutisse dans la ville. Techniquement
possible, cette hypothèse formulée une dizaine d'années auparavant (Leveau
1989, 65-66) s'appuie sur les traces (ténues) d'un ouvrage de soutènement
d'une canalisation circulant à flanc de coteau jusqu'à son aboutissement
dans la ville. La poursuite de ces travaux a amené la découverte d'autres
alimentations dont la plus remarquable est une petite résurgence karstique
captée dans le vallon Saint-Clerg (Agusta-Boularot et al. 2003). De
ce fait, il faudrait sans doute reconsidérer la place accordée au barrage
dans l'alimentation de la ville. Sa destination principale pourrait être
l'irrigation de jardins installés sur le piémont nord des Alpilles. Des
installations hydrauliques du même type sont signalées par F. Benoit dans
les vallons avoisinants. M. Gazenbeek en a découvert également dans le
vallon d'Auge, dans la partie occidentale du massif où l'exploitation de la
couche continue et imperméable de la bauxite a tari les sources karstiques.
Depuis F. Benoit, on admettait qu'elles alimentaient une branche de
l'aqueduc. M. Gazenbeek a montré que ces installations hydrauliques étaient
liées à une importante villa (in Gateau et Gazenbeek 1999, 164
18*). On aurait là une explication de la grande prospérité de ce massif
durant la période antique.
La concurrence dans l'exploitation des ressources hydriques du massif
concernait non l'intérieur du massif mais son piémont. Sur le versant nord,
l'aqueduc disputait aux villae romaines des sources dont le débit
bénéficiait de l'orientation du pendage. Prise individuellement, chaque
source est susceptible d'avoir alimenté un établissement -une villa-
ou même d'avoir été capté pour l'irrigation d'un piémont. Une tradition le
fait partir le canal de la source d'Eygalières, un secteur où les captages
modernes ont fait disparaître toute trace de l'ouvrage romain, si toutefois
il a bien existé. Après l'abandon de l'aqueduc, les mêmes sources ont
continué d'être exploitées, de sorte que leur utilisation par les Romains
est le plus souvent seulement présumée. Seule une utilisation moderne est
attestée de sorte qu'il est impossible de se prononcer avec certitude sur
l'affectation des sources. Des prospections et les fouilles (inédites) de M.
Gazenbeek ont montré que la branche orientale de l'aqueduc d'Arles avaient
fait au Paradou l'objet de piqûres - peut-être illégales- dont on ignore la
destination, mais qui étaient probablement liées à son changement de
destination à la suite de la construction de l'usine de Barbegal au début du
IIe s. (Leveau 1995). Au Moyen Âge, des documents du XIIe s. évoquent un
même changement d'usage pour sa branche de Saint-Rémy : un béal était encore
alimenté par l'aqueduc romain détourné de sa fonction originelle, mais
demeuré un facteur essentiel du paysage régional (Gazenbeek 2000). Son débit
qui est en temps normal de 0,34 m3/s varie entre 0,18 m3 /s à l'étiage et à
près de 4 m3 lors de grandes crues (débit moyen). Ses eaux se perdaient dans
les marais de Maillane. À l'aval, sur la commune de Fontvieille, il
alimentait probablement le petit moulin du haut Moyen Age qui a été
découvert à la Calade (Amouric et al. 2000).
III - L'aqueduc, de l'entretien à l'abandon
Les observations qui viennent d'être présentées portaient essentiellement
sur les aqueducs dans leur globalité. Nous allons maintenant nous tourner
vers les éléments constitutifs de l'ouvrage, le canal et ses substructions,
afin de voir comment leur étude archéologique peut nous renseigner sur
l'histoire individuelle de ces ouvrages, sur leur entretien jusqu'au moment
de leur abandon. Pour la commodité de l'exposé, je distinguerai l'entretien
du conduit et celui des maçonneries qui le portent. Dans le premier cas, les
facteurs de dégradation sont liés aux caractéristiques internes de ce
conduit ; il s'agit donc plutôt d'un vieillissement inéluctable qui, nous
allons le voir, porte sur le canal. Dans le second, ce vieillissement
affecte les matériaux. Mais il s'agit plutôt d'évènements ponctuels
entraînant une rupture du canal, donc une interruption brusque de
l'écoulement de l'eau pour des raisons qui ont plutôt leur origine dans le
milieu environnant.
Frontin qui consacre à ces questions la dernière partie de son traité
distingue quatre causes. Le constructeur a prise sur deux d'entre elles. Il
peut éviter les malfaçons (male factum) et lutter contre les
comportements délictueux (impotentia) des possessoires à la
différence des deux autres, le vieillissement (vetustas) et l'action
des éléments naturels (tempestates). Dans son exposé, Frontin s'étend
sur les causes qui relèvent de sa fonction : les agissements de riverains.
La fin de son traité contient donc une liste de textes juridiques où l'on
trouvera une liste des infractions qui peut être confrontée à l'observation
archéologique. Quelques exemples en ont été donnés. Plus difficile est sans
doute l'identification des malfaçons. En dehors de cette allusion, la lettre
où Pline dénonce à Trajan les malversations dont ont été victimes des
habitants de Nicomédie est assez explicite. J.-L. Paillet et moi-même avions
proposé d'en identifier dans l'étude que nous avions conduite sur l'aqueduc
de Cherchell. Mais il est toujours bien difficile de les distinguer
d'erreurs de l'architecte, -toujours difficiles à établir- et surtout de
facteurs naturels (tempestas). Nous allons maintenant nous intéresser
plus particulièrement à ces derniers en nous appuyant sur la distinction que
Frontin établit entre les effets du temps et ceux d'événements
catastrophiques.
1 - Le vieillissement (naturel) du canal et la géoarchéologie de l'eau
Le vieillissement peut porter sur les matériaux. Il concerne, bien
entendu, d'abord sur les matériaux de mauvaise qualité, mortiers mal dosés
ou insuffisamment travaillés, pierres de mauvaise qualité. Dans la majorité
des cas, cela relève des mal-façons, dont Frontin note au passage qu'elles
se rencontrent surtout sur des ouvrages récents. On comprend pourquoi : la
prise des mortiers ou des bétons de chaux bien préparés s'améliore avec le
temps. Le vieillissement peut porter sur la pierre. Sans parler des maladies
actuelles qui affectent celle-ci et qui sont un phénomène récent lié à la
pollution, ou de mal-façons comme les fissures affectant des blocs mal
placés (en « délit »), il faut prendre en compte le vieillissement de
matériaux résistant mal aux intempéries. Mais, sur l'architecture d'un pont,
il est toujours difficile à distinguer l'effet de la pluie de celui de
fuites qui désagrégent la pierre.
Dans le passage auquel il a été fait allusion plus haut, Frontin donne
une description précise du vieillissement des canaux : « Le dépôt se durcit,
parfois même forme une couche de tartre qui resserre le passage de l'eau ou
bien le revêtement intérieur se dégrade, ce qui provoque des fuites » (
aut enim limo concrescente qui interdum in crustam indurescit, iter aquae
coartatur aut tectoria corrumpuntur, unde fiunt manationes) (De
Aquaeductu CXXII). Décrit pour les aqueducs de la ville de Rome, ce
processus naturel caractéristique des eaux fortement chargées en carbonates
affectait les aqueducs alimentés par des sources dans les pays de relief
calcaire. Nous avons vu l'intérêt que présentait leur étude pour
l'identification des sources. D'une grande dureté, les concrétions
s'accumulaient sur les parois selon des profils caractéristiques affectant
la forme d'un gobelet ou d'un calice (id., ibid., 235).
Sur l'aqueduc de Nîmes, à la Sartanette, leur épaisseur atteint 50 cm, ce
qui représente un poids de 2,5 t/m, le double du même volume d'eau. Ces
dépôts internes ont pu mettre en péril les architectures : Pilae quoque
ipsae tofo exstructae sub tam magno opere labuntur : " les piliers,
également construits en tuf, subissent des tassements sous une telle charge
" (De Aquaeductu, CXXII). Il était très difficile de lutter contre
eux. On a bien identifié en plusieurs endroits sur les parois des traces de
grattage. Mais cette opération ne pouvait être pratiquée que dans des
endroits précis. Les observations faites sur l'aqueduc d'Arles au niveau du
vallon des Arcs montrent les limites de son efficacité. Sur le pont qu'avait
emprunté l'aqueduc pour franchir ce vallon, on observait un surprenant
surhaussement du radier, de l'ordre d'une cinquantaine de cm. L'explication
la plus vraisemblable est qu'il s'agit d'une adaptation aux conséquences des
difficultés d'écoulement occasionnées par les dépôts carbonatés à l'aval. La
diminution de la section qui en résulte aurait conjugué ses effets à ceux du
coude à 90° que fait le canal à la sortie du pont en obliquant vers l'ouest.
Un ralentissement de l'écoulement à ce niveau par perte d'énergie aurait
entraîné accumulation centimétrique de l'eau à cet endroit et à l'amont une
élévation décimétrique du niveau de remplissage du canal sur la totalité du
pont. Plutôt que de dégager ou de refaire le canal à l'aval du pont, on
aurait modifié le profil d'écoulement sur le pont. Des modifications
effectuées sur le Pont du Gard ont peut-être la même explication. J.-L.
Fiches et J.-L. Paillet avaient observé que, sur le pont, les parois du
canal avaient été exhaussées d'une soixantaine de centimètres. Les traces de
cette opération sont conservées dans le cuvelage (Fiches et Paillet 1989).
Selon eux, cette modification aurait été réalisée peu de temps après sa mise
en service. Un bassin de régulation implanté à l'amont du pont pour vidanger
la canalisation permettait de réguler l'écoulement en évacuant l'eau en
excès. L'architecte aurait sous estimé les risques de débordement sur un
ouvrage dont l'altitude avait été commandée par un souci d'économie, -lui
donner une hauteur minimale compatible avec l'écoulement de l'eau jusqu'à
l'altitude prévue à Nîmes. Sur un ouvrage dont la pente était
particulièrement faible, les effets de l'encroûtement des parois du conduit
à l'aval de l'ouvrage ont pu se faire sentir assez rapidement, au bout de
quelques décennies.
Ces dépôts dont la formation est inévitable doivent être distingués de
dépôts constitués de fragments de roche introduits accidentellement dans le
canal ou provenant de sa dégradation. Leur consolidation est due à la
précipitation des carbonates dissous dans l'eau, qui constitue le ciment des
dépôts qualifiés de « détritiques » du fait de leur origine. L'apparition de
ces dépôts correspond à un défaut d'entretien des maçonneries du canal.
Malgré l'interdiction de semer et de planter qui s'appliquait à leurs abords,
celles-ci sont en effet attaquées à l'extérieur par les racines. À
l'intérieur, des crues ou la lente montée de l'eau du fait de l'entartrage
dégradaient la partie supérieure du specus et la voûte qui n'étaient
pas protégées par l'opus signinum. La lutte contre cette obstruction
consistait donc à la fois dans l'entretien de la maçonnerie, dans le
témoignage des abords et dans la visite régulière du canal pour évacuer les
sédiments piégés. Sur l'aqueduc de Nîmes, à proximité d'un pilier des arches
de la Lône, on a trouvé un tas de sédiments de ce type à l'aplomb d'un
regard d'accès à l'intérieur du specus (Guendon et Vaudour in
Fabre et al. 2000, 240). En définitive donc, cette sédimentation nous
renseigne sur la qualité d'un entretien du canal en proportion inverse
duquel elle se développe.
2 - L'archéologie des aqueducs et la question des risques naturels (tempestas)
Frontin précise la seconde cause naturelle de destruction dont il fait
état. L'action des éléments est plus forte sur les parties aériennes des
aqueducs que sur les parties enterrées et sont particulièrement exposés :
les parcours sur les versants et les traversées de cours d'eau (De
Aquaeductu CXXI).
Il a déjà été question des difficultés que les ingénieurs rencontraient
parfois pour ancrer une canalisation sur un versant abrupt affecté par des
glissements de terrain. Cette difficulté est à l'origine de recoupement de
boucles. L'étude que J.-L. Paillet et moi-même avions conduite sur l'aqueduc
de Cherchell avait été l'occasion d'observer de telles modifications de
tracés. Là, dans un relief abrupt affecté par des phénomènes de solifluxion,
les ingénieurs avaient été contraints de renoncer à un premier tracé qui
aboutissait dans la ville aux environs de la cote de 40 m et permettait d'en
desservir à peu près tous les quartiers, pour adopter un tracé plus sûr mais
dont le point d'aboutissement était inférieur d'une dizaine de mètres. Sur
un même ravin (Bouchaoun sur l'oued Boukadir), nous avons trouvé les restes
de deux et peut-être même de trois ponts d'aqueduc qui, situés à des
altitudes différentes, témoignent des solutions adoptées successivement pour
faire franchir au canal un passage obligé (Leveau et Paillet 1976, 56-62).
Sur l'aqueduc de Fréjus, dans la vallée du Reyran, J.-M. Michel signale
trois exemples d'accolement d'arches qu'il explique par des problèmes
structurels (in Gebara et al. 2002, 132). Le quatrième cas, la
construction d'un nouveau pont aux arches Sénéquier, rappelle tout à fait la
situation observée dans la gorge de Bouchaoun (Gebara 2002, 149-150). Il
s'agit toujours de secteurs bien particuliers. À Lyon, J. Burdy observe que
sur les cinq ponts de l'aqueduc lyonnais du Gier qui « ont été remaniés ou
reconstruits, quatre [l'ont été] sur les bases même du pont primitif, et le
cinquième quelques mètres en aval. Tous se situent dans le premier tiers du
parcours, alors qu'on n'a pas relevé le moindre indice d'une reconstruction
des ponts qui suivent ». Dans la zone du bassin houiller stéphanois, le
substrat géologique produit « des sols peu stables et de mauvais matériaux
de construction » (Burdy 1996, 255).
Le risque encouru par les canaux d'aqueducs sur les versants instables se
fait sentir progressivement. Il relève d'une chronologie différente de celui
qu'une crue fait courir à un ouvrage de franchissement de cours d'eau. En
milieu méditerranéen, des ruisseaux voient leurs débits rapidement
multipliés. L'eau montant brutalement, les piliers et le tablier font
barrage et l'ouvrage est emporté. À la différence de ce qui advient pour les
ponts routiers - on peut franchir un cours d'eau dans son lit, à gué ou par
un bac-, ce risque ne pouvait pas être évité : pour faire passer un aqueduc,
y compris dans le cas siphons[1], il
faut un pont. De ce fait, il importe de savoir comment ce risque a été
traité par les architectes dans un projet initial ou lors des réfections
dont ces ouvrages ont été l'objet, comme le doublage d'arches, la
consolidation des architectures par des contreforts, un ensemble d'opération
pouvant aller jusqu'à la reconstruction complète d'ouvrages d'art ou le
déplacement de la canalisation. Les catastrophes récentes survenues dans le
Sud-Est de la France ont attiré l'attention sur deux ponts romains dont la
résistance qui a étonné s'explique en partie par leur conception : le pont
de Vaison-la-Romaine, un pont routier, et le Pont du Gard. Le Gardon coule
normalement à une altitude de 20 m. Son lit moyen, atteint par les crues
ordinaires, se situe à environ 22,5-23 m NGF. En 1910 et en 1958, des crues
ont atteint une altitude d'environ 28 m N.G.F. En 1958, une crue d'ampleur
comparable est observée. La crue des 8 et 9 septembre 2002 qui a dépassé à
cet endroit la côte de 30 m N.G.F. a vérifié la validité des calculs des
architectes romains. Les arches d'une ouverture inhabituelle, qu'ils ont
construites, constituent la preuve d'une prise en compte du phénomène : la
plus large mesure 24,50 m d'ouverture et a une hauteur de 21, 87 m
permettant au tablier de rester hors d'eau[2]..
Par ailleurs en dégageant la fondation de la pile nord de la cinquième arche,
cette grande crue a permis d'observer le soin avec lequel avaient été
réalisés l'implantation et l'ancrage de l'ouvrage (Bessac 2004, 192-193).
Dans le cas du pont Julien sur la voie Domitienne entre Avignon et Apt,
J.-M. Mignon a proposé d'expliquer la reconstruction dont il a fait l'objet
par la nécessité de tirer les leçons de la destruction d'un premier pont par
une crue (Mignon 2003, 81).
Tout ce qui vient d'être exposé exprime le point de vue de l'archéologue
qui examine le bâti. Dans les pays au relief accidenté des rives de la
Méditerranée, le tracé des aqueducs n'est pas soumis seulement aux
contraintes de l'hydrologie ; il prend en compte le relief. Nous avons
suffisamment vu d'exemples de la dépendance de ces ouvrages par rapport à la
topographie pour qu'il soit inutile d'y revenir. Mais si, dans ce domaine,
on souhaite dépasser le niveau de la constatation pour passer à
l'explication et également évaluer la pertinence des choix effectués, il
faut la collaboration du géomorphologue qui, comme le karstologue pour les
dépôts carbonatés des aqueducs, peut être intéressé par la donnée
chronologique que fournit un canal d'aqueduc pour l'histoire naturelle d'un
versant. Les géomorphologues n'ont pas ignoré cette opportunité. Mais encore
peu d'entre eux ont accepté de suivre le parcours d'un aqueduc pour tenter
de répondre à ces questions. Cela fait l'intérêt de l'étude qui a porté sur
le « contexte géomorphologique et historique de l'aqueduc de Nicopolis » en
Grèce (Doukellis et al., 1995)
Le troisième thème tout autant d'actualité sur lequel se sont établies
des relations entre géomorphologues et archéologues est celui du risque
sismique. Compte tenu de l'importance du risque sismique en Asie mineure et
des désastres subis par les villes d'Asie Mineure dont font état nos sources,
on ne s'étonnera pas que les traces de sismicité historique aient été
recherchées sur des ouvrages linéaires dont le tracé pouvait recouper des
failles. C'est ainsi qu'elle a été évoquée pour le bouchage d'arches de l'un
des aqueducs alimentant à l'époque romaine, la ville de Pergame en Asie
mineure, l'aqueduc du Kaïkos. G. Garbrecht relève dans son tracé de
nombreuses restaurations et des remaniements qu'il propose de dater à partir
des tremblements de terre de l'époque d'Hadrien (Garbrecht 1987, 41-42).
Cette hypothèse demande à être confirmée par des fouilles. On a évoqué plus
haut les remaniements de tracé qui existent sur l'aqueduc de Cherchell dans
une région d'Algérie dont la sismicité est connue (Leveau 1976, 64-67) :
aucune source antique n'y fait connaître de tremblements de terre, mais il
est peu vraisemblable qu'aucun ne se soit produit et que les ingénieurs
romains n'en aient pas eu connaissance. Si ce fut le cas, ils eurent raison
de ne pas en tenir compte : le dernier tremblement de terre du Chélif (El
Asnam) ressenti à Cherchell n'a pas fait tomber une seule pierre de
l'aqueduc ; les remaniements du tracé ont, nous l'avons vu, une tout autre
explication. Dans le cas de Nîmes, les géographes qui se sont intéressés au
problème n'ont observé sur ses architectures aucune preuve formelle de "
marque " tectonique. Une destruction pour la récupération des matériaux est
beaucoup plus vraisemblable que l'effet d'anciens tremblements de terre,
quoiqu'ait pu en penser É. Espérandieu. En fait, les signatures sismiques se
sont révélées plus complexes dans leurs manifestations et leur
interprétation (Fiches et al. 1997).
3 - L'utilisation de l'aqueduc comme carrière
On a du mal à évaluer le rôle du développement des concrétions internes
dans l'abandon des aqueducs. Le facteur essentiel de cet abandon est
probablement le déclin de la vie urbaine. Il reste que la diminution des
débits entraînée par l'engorgement des canalisations rendait de moins en
moins intéressant l'entretien du canal. Après leur abandon comme adduction
urbaine, un usage partiel des ouvrages demeure pour l'alimentation de
moulins et pour l'irrigation. C'est alors que ces ouvrages sont livrés aux
récupérateurs.
L'une des récupérations dont le canal est l'objet porte sur les
concrétions internes. K. Grewe en a fait l'histoire pour l'aqueduc de
Cologne qui fournit une pierre particulièrement appréciée pour son caractère
décoratif : sous la dénomination de « marbre du canal », elle a été utilisée
pour des colonnes de l'église carolingienne d'Aix-la-Chapelle. Des
observations analogues ont été faites sur des ouvrages qui avaient été
affectés par le même mal. L'utilisation de plaques extraites du canal pour
la couverture de sarcophages des VIe ou VIIe s. constitue une preuve de
l'arrêt du fonctionnement de l'aqueduc. J.-L. Paillet a étudié l'utilisation
de cette pierre dans les monuments médiévaux de la région de Remoulins et en
a dressé une liste (Paillet in Fabre et al. 2000, 425-434).
Mais l'utilisation essentielle de ces ouvrages après leur abandon a été
la récupération des matériaux. Cette exploitation qui a entraîné leur
disparition explique que l'on n'en retrouve plus aucune trace, sauf en
fondation ou sur des segments épargnés parce qu'oubliés sous des déblais. À
titre d'exemple, je présenterai le cas du Vallon des Arcs à Fontvieille,
dont l'intérêt est d'illustrer les difficultés qu'entraîne cette
exploitation pour la compréhension d'un ouvrage de ce type. Ce vallon était
traversé par deux ponts. Mais, à la différence des ponts doubles dont il a
été question plus haut, ils correspondent aux deux canaux alimentés chacun
par une des deux branches de l'aqueduc et alimentant l'un les moulins de
Barbegal, l'autre la ville d'Arles. Les deux ouvrages n'étant pas
contemporains. L'un avait été bâti en grand appareil. Dans l'autre, cet
appareil n'avait été utilisé qu'à la base des piliers et pour les impostes.
Le reste était en opus caementicium à parement de moellons. Ce qui
compliquait la lecture des vestiges de ces monuments, c'est que le pont le
plus ancien avait fait l'objet d'une grande campagne de réfection : sur plus
de la moitié du monument, les arches avaient été reconstruites en opus
caementicium ; elles étaient portées par des piles remontées sur les
fondations du premier pont. L'addition de cette campagne de restauration et
de la récupération des éléments de grand appareil qui étaient demeurés
donnait l'illusion d'une reconstruction presque complète du pont. En réalité,
ce qui subsistait était le négatif des parties qui avaient traversé la
période d'utilisation et qui étaient en grand appareil.
IV - L'archéologie et la datation des aqueducs
Il convient de distinguer deux types de datation : la datation relative
et la datation absolue. Lorsque cette dernière est connue, c'est en général
par un texte. Le le plus complet est le traité qu'a écrit Frontin sur les
aqueducs de la ville de Rome ; il indique les dates de construction des
différents ouvrages. Le plus souvent, on doit se contenter d'une allusion au
détour d'une anecdote. Ainsi Dion Cassius nous apprend qu'Auguste qui, en 36
av. J.-C., avait pris des terres aux gens de Capoue « leur donna en échange
l'aqueduc nommé Julien ; de tous les avantages, celui dont ils sont les plus
fiers » (Histoire romaine, 49, 14). Un petit nombre d'aqueducs
possède une inscription dédicatoire précisant le nom et la qualité du
constructeur, la date de cette construction et encore plus rarement son coût.
L'apport de l'épigraphie, -la discipline d'étude de ce type de documents-, a
fait l'objet de travaux importants parmi lesquels on compte ceux de W. Eck
et de M. Corbier (1984). Cette dernière s'est plus particulièrement
intéressée aux magistrats des villes d'Italie qui avaient la charge (la
curatelle) du service des eaux. Elle a recensé les inscriptions relatives
aux activités de ces personnages, dont en particulier les adductions
urbaines dont ils sont les responsables.
À défaut de documents écrits, on recourt à l'archéologie. Mais celle-ci
est surtout, comme nous en avons vu des exemples, apte à donner des
chronologies relatives portant sur des modifications du tracé ou des
réfections de sections de l'ouvrage. Il est beaucoup plus difficile
d'utiliser l'archéologie pour passer à une chronologie absolue. C'est
pourtant ce à quoi les archéologues ont dû se résoudre en mettant au point
des protocoles spécifiques dont nous allons voir quelques exemples.
Rappel de quelques principes de datation
Deux approches ont été utilisées simultanément par les archéologues pour
dater les aqueducs, au moins en chronologie relative. La première est
l'appareillage des structures conservées en élévation. La seconde est le
contexte monumental urbain.
Les techniques de construction
L'observation des appareils a apporté d'importantes précisions dans la
datation des aqueducs provinciaux. Elle s'appuie sur une chronologie établie
sur les monuments d'Italie présumés avoir servi de modèles. Les fouilles de
Pompéi y jouent un rôle important dans la mesure où la destruction de la
ville en 79 fournit un terminus. Cette chronologie est approximative. Dans
la transmission des procédés de construction, il faut en effet tenir compte
d'un délai qui peut aller jusqu'à une génération. Toutefois, la transmission
peut aussi être rapide, car si la diffusion de certains appareils correspond
à des modes, d'autres traduisent des progrès technologiques que les
ingénieurs appelés à construire ces ouvrages n'ont pas manqué de mettre en
ouvre. De telles chronologies donnent donc des fourchettes de l'ordre du
demi-siècle. Le plus souvent, des datations ont été proposées à partir de
l'observation du grand appareil. Celui-ci peut être utilisé à joint vif ou
en parement d'un blocage (opus caementicium). Dès l'époque
augustéenne, mais surtout à l'époque julio-claudienne et de plus en plus à
mesure que l'on avance dans le temps, il est concurrencé par d'autres
méthodes de construction, en particulier l'utilisation de plus en plus
systématique de l'opus caementicium qui présente une très remarquable
souplesse d'utilisation. Le blocage peut être moulé entre des banches ou
entre des parements qui font corps avec lui. L'un des critères
traditionnellement utilisés est l'utilisation de la brique qui se généralise
au Ier s. de notre ère et devient par la suite d'un emploi de plus en plus
fréquent.
Les contextes archéologiques et géoarchéologiques
L'alimentation d'une ville a été la raison d'être des aqueducs. Il était
donc logique d'utiliser le contexte du développement urbain dans la datation
de la première mise en service de ces ouvrages. Parmi les méthodes utilisées,
la première consiste dans l'observation de la relation existant entre un
aqueduc et tel ou tel autre bâtiment lié à l'eau, le nymphée élevé au
débouché de l'aqueduc, des fontaines ou encore les monuments réputés grands
consommateurs d'eau comme surtout les thermes. La construction d'un aqueduc
est également liée à la mise en place d'un système de distribution de l'eau
par des conduites. Celles-ci peuvent donc constituer un élément de datation.
Il fallait aussi évacuer le surplus d'eau amenée par l'aqueduc. De ce fait,
la construction des égouts peut constituer un élément du dossier. Mais il
restera complémentaire dans la mesure où l'évacuation des eaux pluviales en
est le principal motif. Mais l'observation de la place de l'aqueduc dans le
plan urbain, -la relation matérielle qu'il entretient avec d'autres
monuments-, peut aussi apporter des indications décisives.
Dans le cas des aqueducs issus du captage de sources karstiques, on peut
faire appel aux données géoarchéologiques issues de l'étude des concrétions
internes. À l'intérieur de celles-ci, l'alternance d'éléments clair et
sombre correspondant à des variations inter annuelles permet le décompte
d'années d'utilisation. Ainsi, les travaux des géoarchéologues sur les
dépôts du canal ont permis d'établir en chronologie relative avec une bonne
précision les différentes périodes du fonctionnement d'un ouvrage. Mais, ils
ne fournissent pas de dates absolues et laissent aux archéologues le soin de
la date de première mise en eau. C'est là que commencent les difficultés.
Des études de cas
Quelques études de cas illustreront les difficultés rencontrées par les
archéologues.
L'aqueduc de Fréjus
Les travaux auxquels vient de donner lieu l'aqueduc de Fréjus donnent un
bon exemple de l'apport de la géoarchéologie et de ses limites. L'apport
fondamental porte sur les phases d'un fonctionnement qui, d'après leurs
analyses, a eu une durée supérieure à 200 ans. Nous insisterons donc ici
plutôt sur la question de la date de la première mise en service.
Sous Auguste, Fréjus accueillit la flotte prise à Antoine après sa
défaite d'Actium. À son entrée dans la ville, l'aqueduc en utilise
l'enceinte comme support dans son parcours urbain. Cette association fait du
rempart un terminus de la construction de l'aqueduc. Mais cela ne fait que
reporter le problème. Les deux équipes qui se sont attachées à l'étude de la
ville divergent dans leur avis sur la date de ce rempart.
Pour C. Gebara (2003, 261, n. 222), les sections du rempart utilisées par
l'aqueduc sont augustéennes et que l'ouvrage a été mis en eau sous Claude au
milieu du Ier s.. Les auteurs de l'Atlas (Rivet et al. 2000,
357-358) considèrent que les mêmes sections du rempart sont flaviennes et
que l'aqueduc date de la fin de ce siècle, voire même du début du IIe s.. De
même, les avis divergent à propos de la mise en place d'un nouveau réseau
d'égouts que C. Gébara (2003, 298) place également, vers le milieu du Ier
s., alors que pour L. Rivet et ses collaborateurs. (2000, 384) aucun égout
collecteur public traversant la ville ne peut être attribué à une époque
antérieure aux années 70. ». De leur côté, G. Fabre et J.-L. Fiches dans le
compte rendu (2003) qu'ils font de ces travaux pensent à une date
intermédiaire : les années 70. Ils concluent à l'opportunité de mettre en
place un programme de fouille dans un remblai susceptible de fournir des
indices précis : comme le suggèrent les auteurs de l'Atlas (Rivet et al.
2000, 384) : effectuer une fouille dans « l'épais remblai consécutif à la
construction de l'aqueduc qui constitue l'esplanade comprise entre le mur de
dérivation du canal et l'angle nord de l'enceinte qui la retient :
immanquablement, le matériel le plus récent fixerait assez précisément cette
date. ».
Pour échapper aux risques du raisonnement circulaire quand on ne dispose
pas de dates absolues, les auteurs de la monographie sur l'aqueduc de Fréjus
ont recherché une solution dans une datation des matériaux utilisés. La
datation de la pierre n'est pas impossible quand on connaît la carrière
d'extraction et quand on en effectue la fouille. Les récents travaux sur la
carrière du Pont du Gard à de l'Estel à Nîmes en apportent une preuve. Mais
il s'agit d'un cas exceptionnel. La datation des mortiers n'est pas
impossible, mais elle n'est pas encore au point. Dans ces conditions, ils se
sont tournés vers les briques utilisées dans la réfection de certains
parements. L'archéomagnétisme donne plusieurs dates entre lesquelles il faut
choisir. Celles qui ont été obtenues permettent de dater ces réfections des
années 2000 (Lanos in Gebara et al. 2002, 225-232).
Les aqueducs de Lyon
À Lyon, la datation des quatre aqueducs de la colonie pose des problèmes
du même ordre. Compte tenu de la dimension exceptionnelle de ces ouvrages,
on les met en relation avec les deux grands personnages dont le nom est
attaché à cette ville : Agrippa, le gendre d'Auguste qui eut en charge
l'organisation des Gaules, et l'Empereur Claude dont l'attachement à Lyon où
il était né est bien connu. Agrippa avait déjà joué un rôle essentiel dans
l'alimentation en eau de Rome en construisant cinq aqueducs : en 33 av.
J.-C. l'Aqua Julia, puis, après 27, sous le nom d'Augusta, -car
il agissait au nom d'Auguste-, une branche de l'Appia, une autre
branche de la Marcia et l'Alsietina et enfin, sous son nom
propre, la Virgo. Exploitant ces circonstances historiques, C.
Germain de Montauzan avait proposé de dater l'aqueduc du Mont d'Or de 20 av.
J.-C. et de 10 ap. J.-C. celui de l'Yzeron. L'aqueduc de la Brévenne
daterait de Claude.
Le quatrième, l'aqueduc du Gier, était daté d'Hadrien sur la foi d'une
inscription posée sous le règne de cet Empereur pour protéger la canalisation,
la Pierre-de-Chagnon. Les arches des ponts de cet aqueduc avaient des
parements en appareil réticulé coupé d'arases de briques. Cet appareil
que l'on trouve en Italie Centrale et centro-méridionale ainsi qu'à Rome
au Ier s. av. et au Ier s. ap. J.-C. n'a guère été utilisé dans les provinces.
Son emploi dans la construction de la villa Hadriana de Tivoli sous Hadrien
apparaît comme une confirmation de la date supposée par C. Germain de
Montauzan.
La chronologie de cet ouvrage a été totalement remise en question par les
fouilles du Verbe Incarné sur le plateau de la Sarra. Celles-ci ont montré
que, contrairement à ce que l'on croyait, l'urbanisation de ce secteur était
dense au Ier s. et qu'y existait dès le règne de Tibère un grand sanctuaire
du culte impérial. La dédicace à Claude d'une fontaine public a été
considérée comme un témoignage en faveur d'une arrivée de l'aqueduc à cette
époque.
Elle peut cependant être antérieure. Inversant la chronologie admise, A.
Desbat (1992) a franchi le pas en suggérant que la construction de cet
ouvrage pouvait être mise à l'actif d'Agrippa. Il s'agirait donc du premier
aqueduc de Lyon, construit dès l'époque d'Auguste par Agrippa, le seul qui
ait été capable d'« alimenter le sommet de la colline de Fourvière, où se
développe le cour de la nouvelle capitale. Comme l'observe A. Desbat, à peu
près les mêmes arguments étaient invoqués à l'appui d'une datation sous le
règne de Claude. Celui-ci aurait bien joué un rôle dont atteste les travaux
entrepris sous son règne. Mais il se serait contenté de le restaurer. Son
argumentation ne fait pas l'unanimité. Nous ne discuterons pas plus
longtemps du cas de Lyon pris seulement ici comme exemple des difficultés
que l'on rencontre et de l'ambivalence de l'argumentation utilisée pour
dater un aqueduc à partir des techniques de construction et des contextes
urbains.
L'aqueduc de Nîmes
Il a été à plusieurs reprises fait références à l'aqueduc de Nîmes. Sa
datation était un des objectifs de la recherche archéologique programmée
dont il a fait l'objet dans les années 1986 à 1990. L'étude qui a été
conduite sur plusieurs années et en plusieurs points du tracé est combinée
avec celle de l'architecture et prend aussi en compte la chronologie
relative fournie par l'analyse des dépôts carbonatés. Au total, J.-L. Fiches
et J.-L. Paillet (2000, 407-421) proposent une analyse très fine qui aboutit
à distinguer six périodes successives : réglage, fonctionnement optimal,
interruption de l'entretien et dégradation, restauration, fin du
fonctionnement et abandon, aménagement postérieur et destruction. Comme ils
le soulignent, le plus difficile est le calage de cette chronologie relative.
La mise en évidence de contextes stratigraphiques sur ce type d'ouvrage
linéaire demandait, outre de la chance, beaucoup de patience et de
persévérance et leur exploitation une excellente connaissance des
productions des céramiques régionales, de la céramique commune et des
amphores. Ces deux conditions étaient réunies. À l'issue de trois campagnes
de fouilles, leurs auteurs (Fiches et al. in Fabre et al.
2000, 330-353) ont conclu que l'ouvrage n'est vraisemblablement pas d'époque
augustéenne, comme on le pensait généralement. Il est plus récent d'un demi-siècle
et datable de la fin du règne de Claude ou du début de celui de Néron.
Les résultats de cette recherche inversent donc la relation habituelle
dans les systèmes de datation entre la ville et l'aqueduc qui l'alimente :
dans le cas, de Nîmes les données chronologiques directes sont suffisantes
pour se dispenser de contextes urbains incertains.
L'aqueduc d'Arles
Ce qui a été écrit sur l'aqueduc d'Arles montre que sa datation pose des
problèmes du même ordre. Son alimentation était assurée par une pluralité de
captages aboutissant à des canaux fonctionnant comme des collecteurs. Il
était logique de le dater des premiers temps d'une colonie qui bénéficia des
faveurs particulières de l'Empereur Auguste. Un certain nombre de données
archéologiques ont paru confirmer une date qui paraissait de s'imposer plus
encore que pour Nîmes, ville qui n'a jamais accédé au statut de colonie
romaine. La première est l'observation de l'appareil des ouvrages d'art dont
il reste des éléments au Vallon des Arcs, site à l'amont duquel
convergeaient les deux branches de l'aqueduc. A priori, rien n'interdit de
les dater de l'époque des monuments augustéens d'Arles. Il en va de même de
son parcours urbain. Une telle datation apparaît cohérente avec le résultat
des fouilles effectuées en deux endroits au village du Paradou, à l'aval
duquel était constituée la branche sud de l'aqueduc. Le specus
maçonné apparaissait dans un lotissement en construction où il a fait
l'objet d'une fouille de sauvetage. Quelques centaines de mètres à l'amont (est)
de ce site, une seconde fouille de sauvetage, à La Burlande, a conduit à la
découverte d'un bassin en grand appareil assurant la convergence de deux
conduits dont les eaux se déversaient dans une canalisation également en
grand appareil qui se dirigeait vers le specus maçonné. La date de
cette installation hydraulique est donnée par l'ouvrage routier sous lequel
passait cette canalisation : un pont construit dans le même appareil sur le
tracé de la voie aurélienne dont les milliaires trouvés sur cette partie de
son tracé nous assurent qu'elle fut construite au début de l'ère. Mais
quelques dizaines de mètres séparent cette conduite constituée de blocs de
molasse taillés en U et la conduite maçonnée découverte dans le lotissement
voisin. À cet endroit, la présence de la route interdit d'espérer pouvoir un
jour observer la relation entre les deux conduits. De ce fait, il est
impossible d'accorder aux découvertes de la Burlande un rôle décisif dans la
datation de la branche orientale de l'aqueduc d'Arles. Entre les deux canaux
a pu exister un second bassin assurant la convergence entre le conduit en
grand appareil de La Burlande et le conduit maçonné reconnu à l'amont, qui,
venant d'Entreconque, est considéré comme le conduit principal. Mais compte
tenu de l'ancienneté et de l'importance de l'occupation antique sur ce site,
il est tout aussi possible que ces deux ouvrages aient conservé leur
indépendance.
Une datation augustéenne ne paraît en effet pas s'accorder avec les
résultats obtenus par la fouille du bassin où convergeaient les deux
branches de l'aqueduc à l'amont du franchissement de la vallée des Baux.
Cette fouille a montré que la construction des moulins de Barbegal au début
du IIe s. avait entraîné la séparation des deux conduits. Si l'on en croit
le sédimentologue qui a étudié les dépôts carbonatés correspondant à la
période précédant cette séparation, l'aqueduc daterait du règne de
l'Empereur Claude (Guendon à paraître).
Conclusion
La question des parcours urbains des aqueducs a été abordée dans la
dernière partie de cet exposé pour des raisons qui s'imposaient. La ville
constitue la destination de ces ouvrages. Des sources ont été captées et
utilisées bien avant que les villes aient été bâties ; des canaux
d'adduction ont été construits pour ravitailler des habitats ou irriguer des
champs. Mais il n'existe pas d'aqueduc urbain sans ville. L'essentiel du
sujet traité été l'apport de l'archéologie rurale à la connaissance des
aqueducs. Il s'agissait de montrer la spécificité de ce type d'approche par
rapport à celle de l'architecte et à celle de l'ingénieur. Cet exposé
autorise deux conclusions principales. La première est la constatation des
progrès réalisés et de ceux qui restent à accomplir. Nous manquons de
monographies d'un niveau comparable à celle dont les aqueducs de Cologne et
de Nîmes ont fait l'objet. Certes, la bibliographie est abondante. Mais ce
qui manque dans les autres études, c'est un bon calage chronologique et la
précision du relevé topographique. Le passage que T. Hodge consacre au pont
du Gard en donne un bon exemple. Une grande partie d'un raisonnement conduit
sur le tracé perd de son intérêt à la suite d'une révision de la topographie
à l'amont. En ce sens, la voie à suivre est celle dont l'efficacité a été
démontrée par K. Grewe. On voit comment pourrait être réalisé par
rétroaction une sorte de « cahiers des charges » ou un devis quantifiant les
travaux de terrassement et de maçonnerie et permettant d'établir des coûts.
D. R. Blackman et A. T. Hodge (2001) se sont avancés dans cette direction.
La seconde série de conclusions porte sur l'exploitation des données
fournies. Deux de ses formes ont attiré notre attention. La première est
l'histoire des grands travaux hydrauliques permise par les modifications de
tracés induites par la construction des ponts, le creusement des tunnels et
l'implantation d'escaliers hydrauliques. La seconde porte sur les conflits
d'usage qu'une étude fine des canalisations permet d'aborder. C'est
évidemment cette dernière qui présente pour moi le plus d'intérêt.
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commenté par L. Callebat, avec la collaboration pour le commentaire de P.
Fleury. Paris, 1986.
[1] Le cas de la canalisation
sous fluviale d'Arles reste une exception. Rappelons que les siphons des
ouvrages anciens exploitent le système des vases communiquants. Il s'agit de
siphons en U et non des siphons actuels..
[2] On se reportera à la
précieuse « Fiche d'identité de l'aqueduc » qui figure au début du volume
dirigé par Fabre, Fiches et Paillet (2000).
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